la Nigérienne Zeinabou Idé un engagement pour l'élimination du paludisme dans nos pays

la Nigérienne Zeinabou Idé un engagement pour l'élimination du paludisme dans nos pays

Bonjour, Mme Zeinabou Idé, merci d’avoir accordé votre temps à Actumag pour cet entretien. Pour commencer pouvez-vous nous parler de votre parcours ?  

Merci de m’avoir invitée à donner cette interview. Je m’appelle Zeinabou Idé, je suis Franco-Nigérienne et âgée de 28 ans. Je travaille actuellement au Cameroun en tant que chargée de programme pour Impact Santé Afrique (ISA) , une ONG dont l’objectif principal est de lutter contre le paludisme.

Mon cursus scolaire est un peu atypique. Je suis titulaire d’un baccalauréat littéraire, d’une licence en communication des Entreprises et d’un master en Ressources Humaines. J’ai aussi suivi plusieurs formations pour assouvir ma soif d’apprentissage, et je suis alumni YALI (Young African Leadership Initiative de l’ancien Président Obama) ainsi que du Volontariat International de la Francophonie (VIF). Je pense qu’il ne faut jamais cesser de se former pour renforcer ses capacités.

-Pouvez-vous nous présenter votre ONG, Impact Santé Afrique ?

Impact Santé Afrique (ISA) est une ONG créée par une jeune femme camerounaise Olivia Ngou. Nous sommes des jeunes femmes dynamiques africaines ayant en moyenne 26 ans d’âge au sein de notre équipe ! Nous luttons contre le paludisme et coordonnons aussi la première plateforme des organisations de la société civile de lutte contre le paludisme, Civil Society For Malaria Elimination (CS4ME). Notre plateforme est dans 48 pays avec plus de 330 membres. Nous intervenons dans le plaidoyer, la communication stratégique, le partenariat, le renforcement de capacité et la prévention contre la mortalité maternelle et infantile.

Olivia Ngou a reçu en 2020 le prix REACH (Recognizing Excellence around Champions of Health) lors du forum Reaching the Last Mile organisé par la Fondation Bill et Melinda Gates & le Prince Héritier d’Abu Dhabi. C’est un prix qui reconnait sa bravoure dans la lutte contre le paludisme et plus récemment elle a été reconnue parmi les 10 femmes les plus influentes dans le secteur de la santé au Cameroun.

-Quels sont les facteurs qui défavorisent la prise en charge de maladies comme le paludisme en Afrique et au Niger plus précisément ?

Tout d’abord, l’Afrique en raison de sa zone géographique est un terrain de favorable pour l’évolution du paludisme qui devient encore de plus en plus résistant, 94 %(215 millions) des cas estimés en 2019 y ont été enregistrés ( source OMS). Quant au Niger, il est un pays fortement endémique du paludisme, nous faisons partie des « High Burden High Impact Countries »signifiant qu’il fait partie des 11 pays les plus exposés au paludisme dans le monde. Selon le Conseil des Ministre de Novembre 2020, le Niger a enregistré 3 861 personnes décédées du paludisme sur 3 193 598 cas confirmés.

Notre système de santé est bien enroué mais malgré les efforts consentis par l’Etat, le chemin est encore long. Nous travaillons de pair avec l’Etat en tant que Société Civile pour demander une augmentation des ressources domestiques allouées à la santé et nous faisons aussi de la sensibilisation auprès des communautés afin qu’elles prennent vraiment conscience que le paludisme est un véritable problème de santé publique.

A mon avis, le travail doit s’effectuer à deux niveaux : celui des décideurs et également celui des populations.

A titre d’exemple, l’Etat a mis en place des mesures de prévention du paludisme (campagnes de distribution gratuites des moustiquaires imprégnées à longue durée d’action (MILDA), dons de ces moustiquaires pour les femmes enceintes lors des consultations prénatales car elles font partie des cibles les plus vulnérables, campagnes de chimio prévention du paludisme saisonnier pour les enfants de moins 5 ans, etc).

Si l’Etat met en place ces mesures et que les populations ne suivent pas, les résultats escomptés ne seront pas atteints. Il est impératif que nous en prenions conscience. Dans les zones reculées, les gens utilisent les moustiquaires comme filets de pêche ou pour protéger les plants de rizières au lieu de les utiliser à bon escient.

Pour finir et je tiens à le rappeler, il n’y a pas de petit palu ! Un paludisme simple peut se transformer en 3 jours en paludisme grave et entraîner la mort. Nous ne prenons pas le paludisme au sérieux parce qu’il nous côtoie tous les jours et à force, nous le banalisons. Savez-vous qu’au Niger, le paludisme tue 35 fois plus que la COVID-19 ? Nous l’avons tous constaté, l’année dernière, le paludisme a sévèrement sévit au Niger et entraîné de nombreux décès. Les statistiques liées aux décès dus au paludisme ont conséquemment augmenté. Cela devrait tous nous interpeller.


-Quels sont les avancées que vous avez observées en ce qui concerne la prise en charge du paludisme au Niger?

Comme progrès, je pourrai citer :

- Le principe de gratuité dans la prise en charge des enfants de moins de 5 ans qui a récemment été mentionné par le Ministère de la Santé Publique et une note de service a circulé à ce sujet.

- La communication pour informer les populations lors des programmes des campagnes de distribution des moustiquaires et de la CPS est assurée par le Ministère de la Santé Publique et par le Programme National de Lutte contre le Paludisme et ce, en plusieurs langues locales et en utilisant différents supports de communication.

- La formation du personnel de santé à tous les niveaux de la pyramide sanitaires

- Le dépistage systématique des cas et la bonne disponibilité en test de dépistage rapide dans les formations sanitaires et au niveau communautaires

- La mise en œuvre de la prise en charge communautaire des cas de paludisme par les relais communautaires

- Le couplage de la chimio prévention du paludisme saisonnier au dépistage de la malnutrition

- La bonne disponibilité des moustiquaires pour la distribution chez les femmes enceintes et les enfants de moins d’un an venant à la vaccination.

-Comment peut-on apporter des solutions qui contribueraient à aider nos populations les plus vulnérables ?

Pour commencer, il faudrait que nous puissions injecter plus de fonds dans le secteur de la Santé, la recherche et développement et l’innovation. Pendant que nous cherchons des solutions, le moustique ne nous attend pas, il mute et évolue. Une résistance aux insecticides qui servent à imprégner les MILDA est observée.

Ensuite, il faudrait que nous en tant que population jouons notre rôle. Nous ne pouvons plus nous permettre cette désinvolture face au paludisme. Cette maladie tue réellement. Si vous remarquez, nous constatons aussi de plus en plus une résistance à certains médicaments antipaludéens et que l’automédication est en partie responsable.

A titre préventif, le moyen le plus efficace en ce moment est la moustiquaire imprégnée (MILDA). Protégez vos familles, et insistez pour que les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans dorment sous moustiquaire car ils sont les plus vulnérables.

A titre curatif, Si vous avez des symptômes de paludisme tels que la fièvre, faites toujours un test avant traitement, faites un traitement adéquat dans un centre de santé pour vous soigner car à force de faire de l’automédication sans être sûr que ce soit le paludisme, votre organisme s’habitue aux médicaments qui deviennent moins efficaces quand vous avez réellement le paludisme.

A cela, j’ajouterai le rôle important que joue la société civile qui est le pont entre les communautés et l’Etat. Elle doit être plus présente dans les instances de décisions pour faire remonter les vrais besoins des communautés à la table des décideurs car elle est la voix des sans voix.

Pour finir, je parlerai aussi d’augmenter le nombre des agents de santé communautaires qui, grâce à eux, les populations des zones les plus reculées et les déplacés internes arrivent à être traités du paludisme simple.

-Quelle a été la motivation qui vous a poussé à rejoindre l'équipe de Impact santé en Afrique au Cameroun?

J’ai d’abord un lien très étroit avec le paludisme : j’ai eu un paludisme sévère à l’école primaire avec plus de 21 sérums, j’ai souffert d’un absentéisme à l’école (je me souviens que mes cahiers de leçons avec le plus souvent l’écriture de mes camarades pour rattraper les cours que j’ai ratés !), j’ai perdu ma cousine adolescente Jalila et mon amie proche Nana Barira encore jeune mariée. Elles sont toutes décédées des suites de neuropaludisme qui est une forme de paludisme encore peu connue chez nous.

Au vu de tout ce vécu à cause d’une seule et même maladie, quand l’offre de travailler contre le paludisme a été lancée j’ai tout de suite postulé parce que déjà j’en voulais personnellement au paludisme mais je voulais vraiment contribuer à l’élimination de cette maladie qui fait trop de dégâts et être utile pour ma communauté, mon pays et l’Afrique.

Je suis la première employée d’Impact Santé Afrique. J’ai été retenue comme consultante spécialiste en communication puis j’ai rejoint Olivia au Cameroun avant d’être maintenant chargée de programme de ISA et CS4ME.

C’est très passionnant comme travail, on fait face aux challenges, on en apprend chaque jour, on grandit et surtout ce qui me motive, c’est cette sensation d’accomplir mon possible pour nous rapprocher de notre objectif final : éliminer le paludisme.

 -Merci de nous avoir accordé cet entretien. Nous souhaitons vous redire toute notre admiration pour ce travail sans relâche que vous faites pour sauver notre population. Avez-vous un dernier message pour nos lectrices ?

Merci à vous. Oui, je souhaite répéter que la santé est un droit, un droit pour tous. Je crois en un monde où les enfants pourront s’épanouir sans souffrir de maladies qui sont évitables et guérissables. Je souhaite que ces enfants ne puissent plus souffrir des conséquences de l’absentéisme à l’école ou de décès dont la cause est une simple piqûre de moustique. Je souhaite que les femmes enceintes ne craignent plus de perdre leur enfant à cause d’un paludisme sévère. Personne d’autre que nous, ne pourra prendre à bras le corps ces problèmes de santé et les résoudre véritablement à la source. Je me suis engagée parce que je crois qu’il est véritablement possible qu’en joignant nos efforts pour cet objectif commun, nous parvenions à l'élimination de ces maladies qui tuent les plus vulnérables d’entre nous. Pour faire notre travail et pour qu’il ait l’impact nécessaire, nous avons besoin les uns des autres. Nous devons travailler main dans la main : société Civile, Communautés, Gouvernement et services administratifs et de santé. Nous avons besoin de tous : vous, moi, NOUS.